Mi Abuelo
Il avait vécu la guerre civile en Espagne, l'exil, le maquis en France, la difficulté d'être un étranger dans un pays dont on ne sait rien. Il était ouvert au monde, aux autres, profondément pacifique. De son anarchisme de jeunesse, de sa connaissance des hommes, il avait tiré une belle sagesse qui m’a souvent inspirée.
Adolescente, j'étais curieuse de son passé mais il ne voulait rien m’en dire. Pour lui, la guerre ne méritait pas qu'on en parle. Je n'ai compris son silence que plus tard, en lisant « Les Soldats de Salamine ». Il y a dans ce livre magnifique un vieil espagnol qui lui ressemble et qui refuse aussi d’évoquer les conflits passés. Ce livre, je le lui ai offert. C'est là qu'il a commencé à me raconter sa guerre, à me raconter sa vie. C'est là qu'il m'a transmis cette partie de l’héritage qui me revenait : celui de mes racines et de ma culture familiale.
Il vivait dans un village du sud espagnol du joli nom de Jardin. Un village qui comme beaucoup d’autres n’approuvait pas ce qui se passait à Madrid dans ces années trente perturbées. Un jour, on convoqua sous un faux prétexte les villageois sur la Plaza de Toros. Tous furent mitraillés par l’armée franquiste. Lui, il sauva sa peau en faisant le mort. Jusqu’à la nuit, il demeura caché sous les corps inertes de ses sœurs, de son père, de sa mère. Commença alors un long voyage vers le nord, vers la liberté. Il a fallu prendre les armes dans une guerre incertaine où les amis d’hier devenaient parfois les ennemis de demain. Puis enfin, les Pyrénées, la frontière mais pas tout à fait la liberté. Il y eu d’abord le camp de réfugiés d’Argelès-sur-mer. C’est là qu’il rencontra ma grand-mère. Amour naissant vite séparé. Ils avaient fui une guerre pour en retrouver une autre. Les hommes étaient réquisitionnés. Mais il ne voulait pas se battre pour des idées qui lui avait fait fuir son propre pays. Il a pris le maquis rencontrant parfois l’amitié, parfois la méfiance. La France fut libérée, il retrouva ma grand-mère. Ils s’installèrent aux pieds des Pyrénées, à quelques kilomètres du pays qui les avait vu naître et qu’ils n’ont pu retrouvé que bien des années plus tard quand le Caudillo rendit enfin l’âme après une interminable agonie.
La dernière fois que l’on s’est vu, en Août 2004, il m’a dit : « Peut-être à l’année prochaine… », avec la tranquillité de celui qui n’a plus peur de la mort. La mort, il m’avait aidé à l’apprivoiser quand il a fallu que je m’occupe des obsèques de mon père. Moi, la fille aînée du fils aîné. « La mort fait partie de la vie, hijita ».
Oui la mort fait partie de la vie et toi elle t’a surpris un beau matin d’hiver où tu t’apprêtais à aller chercher ton pain et ton journal, comme tous les jours depuis des années. C’était le 19 février de l’année dernière.
Te extraño abuelo…