Matin Brun

Publié le par Madison




En 11 pages, Franck Pavloff nous décrit la montée d’un nouveau régime : l’Etat Brun.

Charlie et son copain mène une petite vie toute à fait ordinaire. Ils ne dérangent personne et pour que personne ne les dérange, ils ne s’occupent pas de politique. Jusqu’au jour où cette politique qui leur paraissait logique les rattrape de façon inattendue.




« … Lorsqu’il m’a dit qu’il avait du faire piquer son chien, ça m’a surpris, mais sans plus. C’est toujours triste un clebs qui vieilli mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l’idée qu’un jour ou l’autre il va mourir.
Tu comprends, je ne pouvais pas le faire passer pour un brun. 
Ben, un labrador, c’est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ?
C’est pas la question, c’était pas un chien brun c’est tout.
Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?
Oui, pareil.
Pour les chats, j’étais au courant. Le mois dernier, j’avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir.
C’est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d’après ce que les scientifiques de l’Etat National disaient, il valait mieux garder les bruns.
 
… Et puis hier, incroyable, moi qui me croyait en paix, j’ai failli me faire piéger par les miliciens de la ville, ceux habillés de brun, qui ne font pas de cadeaux. Ils ne m’ont pas reconnu, parce qu’ils sont nouveaux dans le quartier et qu’ils ne connaissent pas encore tout le monde.
J’allais chez Charlie. Le dimanche, c’est chez Charlie qu’on joue à la belote. J’avais un pack de bière à la main, c’était tout. On devait taper le carton deux, trois heures, tout en grignotant. Et là, surprise totale : la porte de son appart avait volé en éclats, et deux miliciens plantés sur le palier faisaient circuler les curieux. J’ai fait semblant d’aller dans les étages du dessus et je suis redescendu par l’ascenseur. En bas, les gens parlaient à mi-voix.
Pourtant son chien était un vrai brun, on l’a bien vu nous !
Ouais, mais ce qu’ils disent, c’est que, avant, il en avait un noir, pas un brun. Un noir.
Avant ?
Oui, avant. Le délit maintenant, c’est aussi d’en avoir eu un qui n’aurait pas été brun. Et ça, c’est pas difficile à savoir, il suffit de demander au voisin.
J’ai pressé le pas. Une coulée de sueur trempait ma chemise. Si en avoir eu un avant était un délit, j’étais bon pour la milice. Tout le monde dans mon immeuble savait qu’avant j’avais un chat noir et blanc. Avant ! Ca alors, je n’y aurais jamais pensé !
 
… Je n’ai pas dormi de la nuit. J’aurais dû me méfier des Bruns dès qu’ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non. Résister d’avantage, mais comment ? Ca va vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ?
 
On frappe à la porte. Si tôt le matin, ça n’arrive jamais. J’ai peur. Le jour n’est pas levé, il fait encore brun dehors. Mais arrêtez de taper si fort, j’arrive. »

Publié dans Lu - Vu - Entendu

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