Solidarité Vieillesse

Publié le par Madison

Quand on me parle de "l'impôt solidarité canicule", je ne peux m'empêcher de repenser à cette soirée du 27 mars 2004 de l'ère Raffarin, juste avant que ne passe la loi "relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes agées et des personnes handicapées". Je viens de retrouver le texte - je pensais déjà l'avoir posté sur ce blog mais apparemment non - écrit alors sous le coup de la colère. Colère toujours vivace qui fait que même si je prône la solidarité, je n'ai toujours pas avalé cette loi qui dédouanne l'Etat de ses responsabilités tout en les faisant peser sur nos épaules. Et ce, même si on a changé de camp depuis...


Samedi 27 mars 2004, Paris 17ème.

 

Je me dépêche de rentrer chez moi, Angleterre/France va commencer dans quelques minutes. Je trouve Mme C. dans la rue en train de discuter par la fenêtre avec Mme S. Je les salue. Malgré le froid et l’heure tardive, la situation ne me surprend pas. Mme C. et Mme S., mes voisines du rez-de-chaussée, toutes les deux très âgées, ont peu à peu perdu la notion du temps qui passe et du monde qui les entoure. Elles ne m’ont d’ailleurs pas reconnue.

 

Je tape le code d’entrée, elles m’interpellent. Mme C. ne sait pas où elle a mis ses clés et ne peut pas rentrer chez elle. La concierge est partie en week-end. Il va falloir trouver une solution. Je fais rentrer Mme C. dans l’entrée de l’immeuble et je lui dis que je vais m’occuper de tout. J’appelle la Police. Ils envoient une patrouille. Je préviens Mme C. qui est en grande discussion avec Mme S.

 

Je remonte chez moi et guette le gyrophare par la fenêtre. Les rugbymen vont entrer sur le terrain. Soudain, je vois Mme C. qui sort de l’immeuble. J’enfile mon manteau pour lui courir après. Elle ne se souvient déjà plus que la Police doit arriver. Je la refais entrer dans le hall de l’immeuble. Elle s’assied au pied des escaliers, refuse de bouger. Mme S. lui tient compagnie.

 

Le match commence. Les policiers arrivent. Je descends me présenter. Je demande à parler en aparté à l’un des agents. Je lui explique que depuis plus d’un an, Mme C. et Mme S. ont perdu le sens des réalités. Qu’elles ont à tour de rôle mis le feu à leur appartement, qu’elles ne se souviennent plus qui elles sont, qu’elles se mettent régulièrement en danger. Je lui dis que Mme S. a un fils qui refuse de s’occuper d’elle. Que j’ai fait un signalement aux services sociaux de la Mairie du 17ème mais que rien ne bouge. Je lui dis que je n’ai pas fait de signalement pour Mme C. parce qu’elle est sous tutelle. Il me répond que nous sommes face à un vide juridique, que tant qu’un médecin n’a pas constaté une incapacité mentale chez ces deux dames, ils ne peuvent rien faire. Pourtant des médecins, il en défile souvent auprès de mes deux voisines. La prise en charge à 100 % à ses avantages quand on veut profiter des vieilles dames. L’agent me demande de lui présenter ma carte d’identité au cas où il devrait faire un rapport. Mais, il doit d’abord parler de tout ça à son chef. Le chef et l’autre agent essaient désespérément d’obtenir l’état civil de Mme C. qui, malgré ses efforts, ne se souvient plus de son lieu de naissance.

 

Je vais chercher ma carte. C’est la mi-temps, la France mène. Quand je redescends, le chef me demande en désignant la porte, si c’est bien le domicile de la dame. Je confirme. Il me temps un petit papier avec le numéro d’un serrurier. « On s’en va. Vous n’avez qu’à appeler là, ils viennent rapidement d’habitude. » Il m’aurait donné un coup de matraque, je ne me serais pas sentie aussi hébétée. « Vous allez partir ? Et c’est à moi d’appeler le serrurier ? » Il me répond qu’ils n’ont pas la possibilité de téléphoner. Devant mon indignation, il se tourne vers Mme S. pour lui demander d’appeler. « Mais vous n’aller pas lui demander à elle de faire ça ! Donnez moi ce papier » J’essaye de contenir ma colère pour éviter l’outrage à agent : je voudrai voir la fin du match.

 

La deuxième mi-temps a commencé. Au téléphone, il faut que je ruse, que le serrurier ne sente pas que la personne chez qui il doit intervenir n’a peut-être pas les moyens de payer. Je redescends et j’annonce que SOS Dépannage sera là dans une demi-heure. Les Policiers saluent et se retirent. Mme C. ne veut toujours pas bouger. Je rentre chez moi. Je suis abattue.

 

Les Anglais remontent au score. Je n’ai plus le cœur à regarder le match. Je surveille l’arriver du serrurier. Un quart d'heure après son arrivée, Mme C. rentre chez elle.

 

Messieurs Raffarin, Mattéi, Fillon et Falco, faut-il attendre la prochaine canicule pour que le problème de mes voisines soit définitivement résolu ou va-t-on enfin les prendre en charge ?

 

Quant à vous, Monsieur Sarkozy, dormez tranquille. Votre police suit bien les procédures. Elle est là quand on l’appelle. Mais pour avoir le numéro de SOS Dépannage, j’aurais pu tout bêtement consulter l’annuaire. Par contre, j’aurais aimé voir un peu d’humanité sous le bleu de l’uniforme. Que face au vide juridique, l’un des agents pense à sa mère, et prenne l’initiative d’appeler un médecin ou les services compétents. N’ayant aucun lien de parenté avec mes voisines, moi, simple citoyenne, je ne peux pas prendre de décisions concernant leur état de santé.

 

Coup de sifflet : la France a gagné in extremis. J’entends Bernard Laporte dire : « Je suis fier d’être français » A cet instant précis, j’ai du mal à partager son avis.

 

Le samedi soir en France, dans certains halls d’immeuble, la Police arrête des jeunes qui discutent et dans d’autres, elle abandonne des vieilles qui n’ont plus personne à qui parler. Et demain, on doit aller voter…

 

Epilogue : Mme S. est décédée deux ans plus tard. Quant à Mme C., après avoir du passer par deux fois par la fenêtre de sa cuisine pour lui permettre de rentrer chez elle alors qu'elle avait encore oublié ses clés, j'ai réussi à contacter sa tutrice légale pour lui exposer sa situation. Son placement en maison de retraite m'a valu, le jour de son départ, un conseil de discipline organisé par mes voisins dans le hall d'entrée. Les agressions verbales ont cessé quand je leur ai demandé où ils étaient tous quand elle avait besoin d'aide...


Publié dans Politiquement Correct

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Incrédulité...<br /> j'ai relu et suis resté hébété devant mon écran.
Répondre
C
Je me demande si tu n'avais pas publié ce texte sur l'un des blogs collaboratifs qui ont "duré le temps d'un déjeuner de soleil". (Je tiens l'expression entre guillemets de mon papa.)
Répondre
M
<br /> <br /> Non je pense que je l'avais mis ici mais j'ai pu l'effacer quand j'ai fait le ménage lol<br /> <br /> <br /> Pas grave... ça montre que le monde n'a pas trop changé depuis...<br /> <br /> <br /> <br />